La nouvelle est passée complètement inaperçue sous nos
latitudes mais un événement majeur a marqué le monde de la traduction en
Nouvelle-Zélande en février dernier.
À l’occasion de son trentième anniversaire, la New Zealand Society of Translators and
Interpreters (NZSTI) a en effet présenté officiellement le Treaty Times Thirty book, fruit d’un
projet de traduction qui fera date dans l’histoire du pays. Cette publication, disponible
gratuitement sur Internet (https://treatytimes30.org/),
contient la traduction en 30 langues des deux versions – anglaise et maorie –
du Traité de Waitangi, généralement considéré comme l’acte fondateur de la
Nouvelle-Zélande.
Ce traité, très court puisqu’il ne comporte que trois articles,
a été signé en 1840 dans un double objectif : officialiser la souveraineté
britannique sur le territoire et garantir un certain nombre de droits aux
tribus indigènes.
Le non-respect d’une partie du Traité par les Britanniques
et les problèmes d’interprétation découlant des divergences entre les deux
versions ont conduit à l’instauration, en 1975, d’un tribunal spécial, le Waitangi Tribunal (www.waitangitribunal.govt.nz). Celui-ci
a été amené à plusieurs reprises à préciser le sens du texte et la rubrique de
son site Internet intitulée Meaning of
the Treaty résume utilement les principales divergences entre les deux
versions du Traité. On notera par exemple cette explication, à propos de
l’article 1er : « In the Māori text of article 1, Māori
gave the British ‘kawanatanga’, the right of governance, whereas in the English
text, Māori ceded 'sovereignty'. One of the problems that faced the original
drafters of the te reo Māori text of the Treaty was that 'sovereignty' had no
direct equivalent in the context of Māori society. Rangatira (chiefs) exercised
full authority (‘mana’) over land and resources on behalf of the wider
community ». On comprend mieux, à la lecture de cette explication, la
raison de certaines divergences entre les deux versions.
Selon le site du projet, ces divergences seraient dues au
délai extrêmement court dans lequel, à la veille de la signature du Traité, la
traduction du texte d’anglais en maori a dû être effectuée : « In
1840, William Hobson [Lieutenant Gouverneur, représentant de la Couronne
britannique] asked Henry Williams, a native English speaker, to translate the
draft version of the Treaty of Waitangi into Māori in haste – the signing was
meant to take place the following day! Williams produced the translation
overnight and, unsurprisingly, it was not reviewed. The unfortunate translation
choices he made led to key differences in meaning between the English and Māori
versions of the Treaty, most notably in regards to the concepts of governorship
and sovereignty ». L’objectif de la NZSTI ici n’est pas de blâmer le
pauvre Henry Williams, qui n’est plus là pour se défendre, mais de mettre en
valeur le rôle des traducteurs professionnels. La NZSTI a d’ailleurs manifestement
tout mis en œuvre pour assurer le bon déroulement du projet et produire des
traductions de qualité : « Each translation of the Treaty and Te
Tiriti was drafted by a minimum of three translators. These translators first
worked individually, and then together, to create the translations of the
Treaty and Te Tiriti. These translations were then reviewed by independent
reviewers to ensure the highest possible quality. » (https://treatytimes30.org/about-us-2/)
Les traducteurs capables de traduire du maori vers une
langue autre que l’anglais étant rares, il a été décidé d’utiliser, pour la
traduction de la version maorie, la traduction anglaise de référence de Sir
Hugh Kawharu (1989). Le travail a donc constitué, pour la plupart des
traducteurs, à traduire le traité dans leur langue à partir de deux versions
anglaises différentes.
Au total, quelque 116 traducteurs ont participé au projet,
tous bénévolement. La traduction française des deux versions a été réalisée par
une équipe de sept traducteurs d'horizons divers, réduite en cours de projet à
trois personnes. La traduction finale a été révisée par une avocate française
installée en Nouvelle-Zélande. Ce processus collaboratif a permis de produire
une traduction d'excellente qualité, respectueuse de la terminologie juridique
et d'une grande lisibilité. Les quelques archaïsmes syntaxiques présents dans
la version originale ont été judicieusement supprimés dans la traduction, comme
c'est le cas de said dans ce passage
de l'article 1er :
« The Chiefs of the Confederation
of the United tribes of New Zealand (...) cede to Her Majesty the Queen of
England (…) all the rights and powers of Sovereignty which the said Confederation or Individual Chiefs respectively
exercise or possess »
« que la Confédération ou que les chefs indépendants exercent ou
possèdent respectivement... » (traduction de la version anglaise originale ;
nous soulignons)
Comme il est toujours possible de trouver des défauts à une
traduction, même de qualité, on pourra toutefois hasarder quelques suggestions
d’amélioration. Prenons par exemple ce passage (article 2) :
« the full exclusive and
undisturbed possession of their Lands and Estates Forests Fisheries and other
properties which they may collectively or individually possess (…) »
« la pleine possession exclusive
et paisible de leurs terres et des domaines (...) »
Il aurait peut-être été plus judicieux ici, pour la fluidité
du texte, de dire « la possession pleine, exclusive et paisible (...) »,
l'antéposition de « pleine » dans cette cooccurrence étant a priori
incompatible avec la postposition d'autres adjectifs.
La traduction de cet autre passage, dans le préambule,
aurait sans doute pu être plus concise :
« the recognition of Her Majesty’s
Sovereign authority over the whole or any part of those islands »
« la reconnaissance de l’autorité
souveraine de Sa Majesté sur toute l'étendue ou toute partie de ces îles »
Suggestion : « la reconnaissance de la
souveraineté de Sa Majesté sur tout ou partie de ces îles. »
Ces quelques remarques n’enlèvent bien entendu rien à la
qualité globale de la traduction, dont on peut espérer qu’elle contribuera,
avec celles réalisées dans les 29 autres langues, à une meilleure connaissance
d’un texte qui reste aujourd’hui l’objet de vive controverses.
La mauvaise qualité de la version du traité en maori, comme
on l’a vu, est parfois attribuée à un problème de délai. Le révérend Henry
Williams, ayant dû travailler dans l’urgence, n’a pas été mis dans les
meilleures conditions pour produire une traduction de qualité et sa mésaventure
semblera d’ailleurs très actuelle aux traducteurs du 21ème siècle,
qui se consoleront peut-être en se disant que le problème des délais n'est pas
nouveau. Cela étant, on peut aussi se demander si la terminologie utilisée dans
la version anglaise – à commencer par le terme sovereignty, concept inconnu des Maoris – et les divergences
introduites dans la version maorie ne l'ont pas été à dessein, par une
puissance coloniale soucieuse avant tout d’imposer sa volonté à un peuple
colonisé. Le doute est d'autant plus permis que le concept de
« souveraineté » n'est pas le seul à poser problème. En effet, comme
le remarque René Lemieux, « (c)hacun des articles contient un concept qui
n’existe pas dans la culture maorie : la souveraineté sur un territoire,
la propriété de la terre et la notion de « sujet » d'un souverain. »
(Le traité de Waitangi : quand une « mauvaise »
traduction devient un objet de revendication politique, Circuit, publication de l'OTTIAQ, n°131,
2016).
Indépendamment de savoir si le révérend Williams a agi sur
instructions du gouvernement britannique ou de se son propre chef, et quelles
qu’aient été les intentions réelles de ce dernier, il est aujourd’hui
incontesté que le Traité de Waitangi, de par les divergences – volontaires ou
non – entre ses deux versions, a eu, pendant des décennies, des conséquences
désastreuses pour la population maorie : « Henry Williams reshaped
the text and changed one part of the world forever. The political impact this
translation had at the time and still has today is so enormous that it has
become the basis for the continued existence of two peoples within one nation. »
(The Translation of the Treaty of
Waitangi: A Case of Disempowerment, Sabine Fenton & Paul Moon, in Translation and Power, University of
Massachusetts Press, 2002).
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