"A generous and elevated mind is distinguished by nothing more certainly than an eminent degree of curiosity, nor is that curiosity ever more agreeably or usefully employed, than in examining the laws and customs of foreign nations." (Samuel Johnson)

mercredi 24 avril 2019

Colloque Langues et langages juridiques, Bordeaux

Je viens de prendre connaissance avec grand intérêt du programme du colloque Langues et langages juridiques - Traduction et traductologie, Didactique et pédagogie, qui doit se tenir en juin prochain à la Faculté de droit de Bordeaux (www.univ-droit.fr/actualites-de-la-recherche/manifestations/31130-langues-et-langages-juridiques?thanks=actu_recherche). Je me réjouis d’ores et déjà d’y revoir Jean-Claude Gémar, un an après le colloque Transius de Genève, et d’y entendre, outre ce dernier, d’autres sommités comme Olivier Moréteau, spécialiste du droit de la Louisiane, dont Gémar justement m’a souvent parlé.


Le premier nom illustre que l'on associe à Bordeaux est bien sûr celui de Montesquieu, dont le parcours personnel est étroitement lié à la ville. Celui que son père destinait à la magistrature employa, dès sa plus tendre jeunesse, « l'activité de son esprit à étudier l'immense recueil des différents codes, à saisir les motifs et à démêler les rapports compliqués de tant de lois obscures ou contradictoires. » (Œuvres complètes de Montesquieu avec les notes de tous les commentateurs, 1839).

Bien qu'ayant hérité, en 1716, d'une charge de président à mortier au Parlement de Bordeaux (sous l'Ancien Régime, les « présidents à mortier » étaient les principaux magistrats des « parlements », alors les plus hautes juridictions d'appel), Montesquieu ne fera pas la carrière de magistrat que souhaitait son père, vendant sa charge en 1726, deux ans avant sa réception à l'Académie française. De l'esprit des lois (1748), son magnum opus, lui vaudra autant de critiques (auxquelles il répondra dans Défense de l'esprit des lois (1750)), que d'éloges, à l'image de celui, resté célèbre, de D'Alembert, qui salua un « ouvrage immortel » qui « est pour les nations éclairées un motif de jalousie contre la France. » (1772).

Aujourd'hui, Montesquieu coule une retraite paisible Place des Quinconces, en compagnie d'un autre Bordelais célèbre, Montaigne, dont il était un grand admirateur. Figés pour l'éternité, ces philosophes de pierre n'en ont pas moins laissé une œuvre encore très vivante qui n'en finit pas d'inspirer débats et rencontres (cf. Montesquieu hors d'Europe. Traductions et usages de L'Esprit des lois, colloque prévu au printemps 2020).


Dans l'ombre de ces grands noms, d'autres Bordelais moins célèbres ont eux aussi contribué à façonner l'évolution du droit et méritent à ce titre de sortir de l'anonymat. Parmi eux figure Etienne Cleirac (1583-1657), jurisconsulte né et mort à Bordeaux qui a laissé derrière lui plusieurs ouvrages et traités, mais qui est surtout connu aujourd’hui pour Us et coutumes de la mer, recueil réunissant les lois et usages maritimes de son époque. 

Considéré aujourd’hui comme l’ouvrage fondateur du droit maritime français, ce recueil, publié pour la première fois en 1647, comporte trois parties – De la navigation, Du commerce naval & contracts maritimes, et De la juridiction de la Marine – et est complété par un lexique des termes de marine « employez dans les Edicts, Ordonnances & Reglemens de l’Admirauté ».

Ce lexique contient de nombreux archaïsmes (« bargagne/bargagner » (marchander, qui a donné bargain), « bomerie »), mais aussi des termes encore en usage aujourd’hui. Citons ces trois exemples : 

« Avarie, est toute sorte de dépence, dommage, tare ou empirance ordinaire ou extraordinaire (…). »

« Charte partie, c’est la lettre de la facture, ou le contract de cargaison fait par écriture de main publique. »

« Police d'assurance, (…) est un contract grandement nécessaire & salutaire à la Navigation PERICULI PRÆTIUM par le moyen duquel (…) les assureurs prennent sur eux, & répondent des risques & mauvais événements de la navigation entreprise desquels ils doivent indemniser les Marchands chargeurs en cas de perte ou d'empirance. »

Aussi utilisé en numismatie, le terme « empirance », qui apparaît dans deux de ces définitions, se disait « en termes de Marine, (…) du déchet, de la corruption ou diminution de valeur des marchandises, causée par leur jet durant la tempeste, si aprés elles sont sauvées, ou par quelques autres accidents. » (Furetière, Dictionnaire universel, 1690).

L’ouvrage de Cleirac, véritable code maritime avant l’heure (en attendant l’Ordonnance de la marine de 1681, dite « Ordonnance Colbert »), connut un tel succès qu’il fut traduit en plusieurs langues. La traduction anglaise qui en été publiée en 1686 a assurément contribué à son rayonnement à l’étranger, mais il est regrettable que Guy Miège, son auteur (par ailleurs connu pour ses dictionnaires anglais-français publiés dans les années 1670 et 1680), ait oublié de mentionner le nom de Cleirac, intitulant simplement sa traduction The Ancient Sea-Laws of Oleron, Wisby and the Hanse-Towns, Still in Force, Taken out of a French Book, intitled, Les Us & Coutumes de la Mer.

Il est difficile, pour finir, de ne pas évoquer, à propos de Bordeaux, le magnifique texte que François Mauriac a consacré à sa ville natale. Les premières lignes de Bordeaux ou l’adolescence (1924) sont parmi les plus belles mais aussi les plus universelles (Bordeaux symbolise ici toutes les villes natales et chacun, à travers elle, retrouvera la sienne) que Mauriac nous ait laissées : 

« Cette ville où nous naquîmes, où nous fûmes un enfant, un adolescent, c’est la seule qu’il faudrait nous défendre de juger. Elle se confond avec nous, elle est nous-même ; nous la portons en nous. L’histoire de Bordeaux est l’histoire de mon corps et de mon âme. »

mardi 2 avril 2019

Exoine

Apparaissant notamment dans l’Ordonnance criminelle d’août 1670, le mot « exoine » n’est plus utilisé aujourd’hui et fait figure d’archaïsme, tout du moins en France. 

Selon le Littré, ce terme avait deux significations distinctes : « Ancien terme de pratique. Excuse, en justice, de ce qu’on ne peut se trouver à une assignation ; Terme de médecine légale. Certificats d’excuse, d’exemption ou de dispense, délivrés par un médecin à un malade qui, appelé à une fonction qu’il ne peut remplir, doit justifier de son absence ou de son incapacité motivée. » (www.littre.org).

Le Dictionnaire portatif de jurisprudence et de pratique (1763) de Lacombe de Prezel donne d’« exoine » la définition suivante : « Excuse proposée pour une personne absente qui ne peut comparoir en justice. » 

L’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert (éd. 1756) contient une entrée détaillée sur « exoine », qui y est défini en ces termes : « EXOINE, (Jurisprud.) signifie excuse de celui qui ne comparoît pas en personne en justice, quoiqu’il fût obligé de le faire ». Tout comme le Dictionnaire de Lacombe de Prezel, l’Encyclopédie recense également les dérivés « exoiner » et « exoineur » : « EXOINER, (Jurisprud.) signifie excuser ou proposer l’excuse de quelqu’un qui ne comparoît pas en personne en justice comme il étoit obligé de le faire. » ; « EXOINEUR, (Jurisprud.) est celui qui est porteur de l’excuse d’un autre […]. »

Comme le montrent ces différentes définitions, le mot « exoine » renvoie à l’idée d’excuse et les deux termes peuvent être considérés comme synonymes. Ce que confirme le titre XI de l’Ordonnance de 1670 : « Des Excuses ou Exoines des Accusés ».

Le terme semble être progressivement sorti de l’usage à partir de la fin du XVIIIe siècle. S’il est recensé dans la quatrième édition du Dictionnaire de l’Académie française (1762), il ne figure plus dans la cinquième édition (1798). Ces précisions confirment qu’au moment de la promulgation du nouveau Code d’instruction criminelle (1808), le terme « exoine » avait fait son temps : « Ce terme était employé par l’ordonnance criminelle du mois d’août 1670, pour exprimer l’excuse par laquelle un accusé qui devait comparaître en justice, justifiait qu’il était dans l’impossibilité de le faire. Ce cas est maintenant réglé par les articles 468 et 469 du Code d’instruction criminelle. Mais le mot exoine n’est plus d’aucun usage dans la législation moderne. » (M. Favard de Langlade, Répertoire de la nouvelle législation, 1823, Tome II).

Relégué au rang d’archaïsme, le terme « exoine » n’est plus recensé dans les dictionnaires juridiques français, mais il figure, curieusement, dans le Black’s Law Dictionary, accompagné de cette définition : « exoine [French ‘excuse’] French law. An act or instrument in writing containing the reasons why a party in a civil suit, or a person accused, has not appeared after being summoned. » (8e éd., 2004, p. 616).

S’il est sorti de l’usage en France, le mot « exoine » continue d’être employé au Luxembourg. dans le sens le plus souvent d’empêchement fait à un avocat de se présenter à l’audience : « Au cas où l’avocat ne peut se présenter pour cause de maladie ou autre cause grave, il présentera sa demande d’exoine en respectant les dispositions du règlement grand-ducal du 29 juin 1990 portant règlement d’ordre intérieur pour la cour d’appel, les tribunaux d’arrondissement et les justices de paix. L’exoine sera uniquement présentée pour raison de maladie ou autre cause grave, à indiquer avec précision. » (art. 3.2.3 du Règlement intérieur de l’ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, janvier 2013).


vendredi 28 décembre 2018

New York, 15 novembre 2018

Il est à 18 h à New York en ce 15 novembre. Le monsieur météo de ABC7 avait vu juste ce matin en annonçant l’arrivée dans la journée d’un early nor’easter. La neige tombe drue depuis le début de l’après-midi et a recouvert la ville d’un beau manteau blanc, provoquant du même coup, en pleine heure de pointe, une belle pagaille dans le quartier grouillant de Midtown. Trop occupés à ne pas glisser sur les trottoirs et surtout pressés de rentrer chez eux, les New Yorkais ne prennent pas le temps d’admirer le nouveau paysage qui lentement se dessine sous leurs yeux, mais les touristes ne sont que trop heureux de voir s’ajouter au spectacle qu’offre habituellement la ville celui d’une météo capricieuse qui la rend encore plus étonnante. Au carrefour de la 34ème rue et de la 8ème avenue, un policier tente tant bien que mal de remettre un peu d’ordre dans le ballet passablement déréglé des voitures et des piétons.

Ayant pu regagner non sans difficulté mon hôtel sur la 37ème rue, je m’installe dans le hall pour attendre la personne qui doit me rejoindre. La neige redoublant d’intensité, je commence à me dire que notre rendez-vous est compromis, mais mon inquiétude est vite dissipée. Quelqu’un vient de se planter devant moi et le temps de lever les yeux de mon smartphone, je reconnais avec soulagement celui que j’attendais : le professeur  Lawrence Solan. Je me lève d’un bond et m’empresse de le remercier d’avoir fait le déplacement jusqu’à moi malgré le temps.

J’avais fait la connaissance de Larry environ trois semaines plus tôt à Séville, à l’occasion de la conférence Jurilinguistica II. J’avais juste pris le temps de le féliciter pour sa communication – qui, avec celle de Jan Engberg, avait ouvert la conférence – et de lui dire que je serais de passage à New York à la mi-novembre. Nous avions alors convenu de nous y retrouver pour poursuivre notre conversation.

Quelques minutes après nos retrouvailles dans le hall de mon hôtel, Larry et moi prenons place à une table du Tick Tock Diner, un restaurant de la 8ème avenue situé juste à côté du New Yorker, hôtel particulièrement prisé des touristes. Larry me demande ce que j’ai fait depuis mon arrivée à New York. Je lui explique que j’ai visité la veille le siège des Nations Unies et que j’ai rencontré à cette occasion trois traducteurs du service de langue française, avec lesquels j’ai bien sûr parlé de traduction (en particulier des problèmes posés par la traduction des résolutions du Conseil de sécurité, textes parmi les plus sensibles mais qui doivent être traduits dans des délais particulièrement courts), mais aussi de la communauté française de New York et de la vie culturelle de la « Grosse Pomme ». « That must have been very interesting », remarque Larry. Je confirme.

 J’explique à Larry que j’ai aussi visité, en début d’après-midi, le musée consacré aux attentats du 11-Septembre. Le musée, entièrement souterrain, est installé à l’endroit même ou se dressaient les tours jumelles du World Trade Center. Des tours immenses que j’avais pu voir de mes propres yeux lors de mon premier voyage à New York, en juillet 1996. Je n’ai jamais oublié leur silhouette imposante et le sentiment de vertige que j’avais éprouvé en admirant le panorama depuis Top of the World, l’observatoire de la South Tower, perché à 400 mètres au-dessus de Manhattan.

Retraçant avec une minutie extrême non seulement les attentats eux-mêmes mais aussi l’avant et l’après, le musée réussit la prouesse de rendre palpable le sentiment d’effroi que l’événement a suscité bien au-delà de New York et l’onde de choc qui a suivi sans rien sacrifier à l’exactitude historique et sans tomber dans le voyeurisme. Larry m’explique qu’en ce mardi matin, il se rendait à Brooklyn quand il a appris, par une personne croisée dans le métro, ce qui se passait. « I thought, this is the end of democracy », se souvient-il. Depuis ce jour tragique, il n’a jamais pu se rendre sur les lieux de l’attentat, tant le traumatisme est profond. Comme je le comprends.

Larry me parle ensuite de ses enfants et en particulier de son fils, artiste spécialisé dans les peintures murales. Il me montre une photo d’une de ses œuvres sur son téléphone.

Comme son fils, Larry habite dans le New Jersey, à une petite heure de train de Manhattan. Je l’interroge sur les cours qu’il donne à la Brooklyn Law School. Il y enseigne essentiellement le droit – le droit des contrats notamment – mais y donne aussi ponctuellement un séminaire de jurilinguistique intitulé Law, Language, and Cognition.

Titulaire à la fois d’un Juris Doctor de la Harvard Law School et d’un doctorat de linguistique de l’Université du Massachusetts (Amherst), Larry Solan est un des rares jurilinguistes pouvant légitiment revendiquer la double compétence de juriste et de linguiste. Cette double casquette lui vaut d’être régulièrement sollicité par les tribunaux en qualité d’expert-linguiste.

Dans la célèbre et pour le moins scabreuse affaire Stormy Daniels, il a ainsi été invité à donner son avis d’expert sur le sens à donner à l’expression and/or dans le premier paragraphe d’un contrat versé au dossier. Son analyse, à l’appui de laquelle il cite également le classique Language of the Law de D. Mellinkoff, s’ouvre sur une référence à l’un de ses propres ouvrages :

« In one section of The Language of Judges, I discuss issues that arise concerning the interpretation of the words ‘and’ and ‘or’. »

La suite de sa démonstration donne un aperçu des problèmes d’interprétation souvent complexes que peuvent occasionner ces conjonctions :

« As a general matter, ‘and’ indicates a conjonction of two elements. ‘Or’ is ambiguous between exclusive and non-exclusive interpretations. In some texts of logic, ‘or’ is understood as one, the other, or both (‘and/or’) whereas in everyday speech, it is more frequently understood exclusively as ‘either/or’. Moreover, in the context of negation, ‘and’ and ‘or’ often reverse meanings. ‘You may not go to the movies or to your friend’s house tonight’ is understood as prohibiting both activities, not allowing one or the other. As I point out in my book, this reversal sometimes causes problems in legal interpretation. »

La question de l’interprétation des textes législatifs intéresse particulièrement Larry – il donne d’ailleurs à Brooklyn un cours intitulé Legislation and Statutory Interpretation – et je lui fais remarquer que sa réflexion sur la question me fait penser à celle de Ross Charnock. Dont l’un des articles, intitulé Clear Ambiguity (in Anne Wagner & Sophie Cacciaguidi-Fahy [dir.], Legal Language and the Search for Clarity, Peter Lang, 2006), cite justement parmi ses sources The New Textualists’ New Text, article d’un certain… Lawrence Solan.

Outre The Language of Judges (1993), Larry est aussi l’auteur de Speaking of Crime : The Language of Criminal Justice (University of Chicago Press, 2005, avec le regretté Peter Tiersma) et de The Language of Statutes (University of Chicago Press, 2010).

Larry Solan a aussi participé à de nombreux ouvrages collectifs, dont le Oxford Handbook of Language and Law (Oxford University Press, 2012), dont il a assuré la direction scientifique avec P. Tiersma. Il est par ailleurs l’auteur d’innombrables articles, dont plusieurs, comme Pernicious Ambiguity in Contracts and Statutes (2004), sont disponibles gratuitement depuis sa page sur le site de la Brooklyn Law School (https://www.brooklaw.edu/faculty/directory/facultymember/Publications?id=larry.solan&category=Articles).

Invité par les universités les plus prestigieuses, Larry Solan donne régulièrement des conférences à travers le monde et ses travaux sont cités dans plusieurs décisions de justice (cf. arrêt de la Supreme Court of Minnesota dans l’affaire State v. Andersen, 2010). Il est également intervenu à plusieurs reprises dans la presse (Washington Post, Wall Street Journal, New York Times), mais aussi dans The Diane Rehm Show, sur NPR (https://dianerehm.org/shows/2015-04-01/how-technology-is-changing-criminal-linguistic-evidence-in-court).

Dire que la personne que j’ai en face de moi est une sommité dans son domaine relève donc pour le moins de l’euphémisme. Mais malgré son CV impressionnant, Larry Solan est tout sauf hautain : on ne peut qu’être frappé par son accessibilité et son humilité, qui ne sont pas sans rappeler celles d’un Jean-Claude Gémar, autre jurilinguiste de haut vol dont les travaux forcent l’admiration.

En ressortant du restaurant, je raccompagne Larry jusqu’à la gare de Penn Station, située à deux pas, où il doit prendre un train pour rentrer chez lui dans le New Jersey. Nous arrivons tant bien que mal à déjouer les nombreux pièges que nous tendent les trottoirs de plus en plus verglacés et nous engouffrons dans la gare, située directement sous le Madison Square Garden. De nombreux voyageurs scrutent, inquiets, le tableau d’affichage dans l’espoir d’apercevoir leur train. Celui de Larry est prévu à l’heure. Nous échangeons encore quelques mots et je le regarde s’éloigner, avant de repartir braver la neige et le froid, conscient d’avoir passé un moment privilégié en compagnie d’un jurilinguiste parmi les plus éminents et désireux de renouveler très vite l’expérience, à Séville, New York ou ailleurs.

mercredi 13 juin 2018

Café traduction juridique, New York, 15/11/18




J'ai le plaisir d'annoncer que le prochain "Café traduction juridique" se tiendra à New York, le jeudi 15 novembre 2018, de 9h à 17h.

Pour rappel, le principe de cette rencontre est de se réunir entre traducteurs juridiques, expérimentés ou non et de toutes combinaisons linguistiques, pour parler du métier et échanger expériences, réflexions et bonnes pratiques. Comme lors du dernier "CTJ", qui s'est tenu à Paris en avril dernier (compte rendu ici : https://wordstodeeds.com/2018/05/13/guest-post-cafe-de-traduction-juridique/), la rencontre se déroulera en deux temps : après une séance du matin assez générale, lors de laquelle chacun se sera présenté et aura évoqué son expérience et ses attentes, seront abordés l'après-midi des thèmes plus ciblés : formation continue, outils de TAO, méthode de recherche du traducteur juridique, question de la spécialisation, etc.

J'ai d'ores et déjà le plaisir de vous annoncer que mon collègue et ami Louis Beaudoin sera présent. Installé à Québec, Louis est un traducteur de haut vol, spécialisé dans la traduction des jugements, et par ailleurs auteur de deux ouvrages de référence. J'ai eu l'honneur de présenter avec lui une communication sur les dictionnaires juridiques lors de la conférence Words to Deeds, qui s'est tenue à Londres en février dernier (http://conference2018.wordstodeeds.com/preconference-workshops/). Louis nous parlera de sa longue expérience, en particulier auprès de la Cour suprême du Canada. Une collègue qui travaille au siège de l'ONU à New York pourra peut-être aussi nous rejoindre, mais cela reste à confirmer.

En marge de la rencontre (sans doute le vendredi 16 au matin), j'organiserai une visite guidée privée de la ville.

En fonction de la salle, le coût de la journée sera de l'ordre de 30 à 50 dollars par personne, à me régler directement sur place (les collègues installés en France pourront aussi me régler en euros). Je vous reconfirmerai le coût de la visite ultérieurement, mais il devrait être du même ordre (30 à 50 dollars).

Pour que chacun puisse s'exprimer et que les échanges soient réellement fructueux, le nombre de places est limité à 10 personnes. Si vous êtes intéressé(e), merci de bien vouloir m'en informer au plus vite et au plus tard le 15 août, à fred.houbert@yahoo.fr. Les premiers à se manifester seront les premiers servis.

Dans votre message, merci d'indiquer, d'une part, le ou les thèmes que vous souhaiteriez voir abordés l'après-midi, et, d'autre part, si vous souhaitez également vous inscrire à la visite du vendredi 16. Lorsque je connaîtrai le nombre définitif de participants, je chercherai une salle adéquate et ferai le point avec le guide, et je pourrai alors vous communiquer le coût exact. Comme à Paris, nous disposerons d'une salle qui nous est réservée, dans un espace de coworking qui reste à déterminer.

Si vous êtes spécialisé(e) dans la traduction juridique et que vous pensez, comme moi, que les outils technologiques, aussi pointus soient-ils, ne remplaceront jamais les vraies rencontres, ne manquez pas cette occasion unique de venir échanger avec vos collègues dans un cadre exceptionnel. A bientôt à New York !




vendredi 6 avril 2018

Le Traducteur encore plus averti

Traducteur émérite, formateur en traduction, responsable de la qualité au sein du cabinet Edgar (Québec) et enseignant à l’Université Laval, François Lavallée jouit de longue date d’une solide réputation dans le monde de la traduction.

Beaucoup se souviendront du Traducteur averti (Linguatech, 2005), ouvrage « à mi-chemin entre le guide de traduction et le dictionnaire de difficultés » dans lequel Lavallée proposait à la fois « des pistes inédites pour la traduction de termes courants » comme commitment, update ou summary et « une réflexion originale sur des sujets comme la traduction des slogans et des titres » ou « l’ordre des mots dans la phrase » (quatrième de couverture).

Onze ans après ce premier ouvrage, l’auteur récidive avec Le traducteur encore plus averti, toujours chez Linguatech. Ce nouveau recueil, d’un peu plus de 300 pages, s’inscrit dans la même démarche que son prédécesseur : il s’agit toujours pour l’auteur de décortiquer les mots auxquels sont régulièrement confrontés les traducteurs travaillant de l’anglais vers le français, d’aider ces derniers à rendre leurs traductions plus idiomatiques et de livrer au passage une réflexion sur des thèmes qui n’avaient pas trouvé leur place dans le premier ouvrage, qu'il s'agisse de l’animisme, du faux comparatif ou de ce « monstre » qu’est le zeugme.

Concern, excited/exciting, identify, industry, outline, overview, performance, review, suggest, support... Tous ces mots simples en apparence mais souvent difficiles à traduire – en raison pour nombre d’entre eux de leur proximité trompeuse avec leurs « équivalents » français – sont méthodiquement passés au crible d’une réflexion pragmatique qui vise avant tout à déboucher sur des solutions concrètes de traduction, l’objectif étant d'amener le traducteur à se libérer de l’asservissement à l’anglais pour mieux exploiter toute la richesse de la langue française. 

La plupart des mots abordés font l’objet d’assez longs développements, qui procèdent généralement d’une même démarche : l’auteur commence par évoquer les « réflexes » que déclenche souvent le mot en question chez le traducteur et les erreurs ou approximations de traduction qui en découlent, avant d’examiner, exemples à l’appui, les différentes traductions possibles du mot selon le contexte. 

La plupart des entrées comportent plusieurs parties, qui permettent à la fois à l’auteur d’organiser sa réflexion et au lecteur de mieux en suivre le fil. L’entrée consacrée à concern, par exemple, comprend trois parties : « a) La valeur trop subjective de préoccupation », « b) Valeur euphémique », et « c) Le sens fort ». Les nombreux exemples proposés sous cette entrée – du premier (« Signalez vos réserves éventuelles à l’égard du plan de perfectionnement (...) ») à celui qui la conclut (« très peu dentre eux ont manifesté leur mécontentement ») – font ressortir toutes les nuances du mot concern mais, aussi et surtout, permettent de saisir toute la palette de ses traductions possibles. Par la finesse de son analyse, qui irrigue tout le livre, Lavallée entre dans la subtilité des mots comme peu l’ont fait avant lui et réussit la prouesse de démêler le mikado linguistique franco-anglais, la coexistence de longue date des deux langues et les échanges incessants qui s’opèrent entre elles étant depuis toujours source de confusion pour leurs locuteurs et, plus encore, pour les traducteurs, même chevronnés. Aux prises avec le verbe suggest, le traducteur ne sait pas toujours pourquoi « suggérer » conviendrait ici mais n’irait pas là. Devant rendre specific, il hésite souvent entre « spécifique », « particulier » et « précis ». Et à force d'entendre son homographe français, il ne sait plus très bien ce que le mot performance veut dire en anglais. Entreprendre de mettre de l’ordre dans cette cacophonie est une ambition qui ne peut qu’inspirer le respect.

Nouveauté particulièrement originale du Traducteur encore plus averti, les exemples sont agrémentés d’icônes qui permettent de connaître immédiatement la « valeur » qu'accorde l'auteur aux différentes traductions proposées. « L’icône J signale une solution recommandée. L’icône L, une solution déconseillée. L’icône K indique que la solution n’est pas mauvaise en soi mais pourrait être améliorée » (« Conventions et notes », p. XXI). Ces icônes constituent incontestablement un plus par rapport à l’ouvrage précédent et contribuent à la clarté de la démonstration, mais aussi du texte lui-même. Il est à noter à ce propos que le livre est plus aéré et donc plus agréable à lire que ne l’était Le traducteur averti.

Les entrées consacrées à des termes ou expressions juridiques sont assez peu nombreuses, mais contiennent toutes des pistes de réflexion intéressantes. À l’entrée « Fait à », l’auteur se demande si cette locution ne pourrait pas avantageusement traduire la formule signed, sealed and delivered, mais se garde de tout avis tranché sur la question : « (…) traduire cette formule (…) par Fait à (…) nous paraît une solution honorable, que nous laissons commenter à nos distingués collègues plus instruits dans le domaine juridique. » (p. 110). Ce souci d’éviter tout verdict définitif se retrouve à l’entrée consacrée à l’expression including, without limitation. Celle-ci se termine en effet sur ces mots : « Compte tenu de tout ce qui précède, nous continuons de pencher pour la solution courte en français, non de façon péremptoire, mais en laissant la porte ouverte à l’autre option, dans un esprit de dialogue (ne serait-ce que virtuel) entre le juriste, responsable de la sécurité de son client, et le traducteur, responsable de la clarté de la rédaction. » (p. 146). La prudence dont fait ici preuve l’auteur est tout à son honneur et vient utilement rappeler que la traduction juridique est souvent affaire de compromis.

La troisième entrée juridique – « Whichever is less et tournures apparentées » – fournira aussi ample matière à réflexion au traducteur juridique. L’auteur multiplie là encore les exemples pour aider le traducteur à « sortir des ornières de traduction » (cf. sous-titre du livre) et me fait l’honneur de citer au passage mon Dictionnaire des difficultés de l'anglais des contrats (2006).

Si les entrées consacrées à des termes ou expressions juridiques sont rares, beaucoup des exemples proposés dans le livre proviennent du domaine juridique. On peut ainsi citer, à la page 128 (entrée identify) :

« Parties must identify their witnesses before the hearing begins.
L Les parties doivent identifier leurs témoins avant le début de l’audience.
J Les parties doivent faire connaître l’identité de leurs témoins avant le début de l’audience.
J Les parties doivent fournir la liste de leurs témoins avant le début de l’audience. »

Citons cet autre exemple, à propos de l’inversion verbe-sujet (p. 166) :

« Under the new Public Service Employment Act, the following have authority to take corrective action (...).
En vertu de la nouvelle Loi sur l’emploi dans la fonction publique, ont le pouvoir de prendre des mesures correctives (...). »

Ce troisième exemple, à l’entrée outline (p. 197), permet de rappeler l’utilité de la locution verbale « faire état de », même si on aurait pu ici lui préférer « énoncer » :

« This agreement outlines the terms and conditions that will apply to the parties.
La présente entente fait état des conditions que devront respecter les parties. »

À l’entrée should, must, l’auteur constate avec raison que si l’« on ne peut nier que should est moins fort que must (...), on ne peut nier non plus que dans la pratique, il est très fréquent que le mot should exprime davantage une obligation qu’un souhait ou une recommandation ». Cet exemple, parmi d’autres, vient utilement illustrer ses propos :

« The judge has a variety of options available to him/her when deciding how a person should be punished.
L Un ensemble d’options s’offrent au juge quand il doit décider comment une personne devrait être punie.
J Diverses options s’offrent au juge quand vient le moment de décider comment une personne doit être punie.
J Diverses options s’offrent au juge quand vient le moment de choisir une sanction pour un délinquant. » (p. 217)

Ce ne sont là que quelques exemples, parmi beaucoup dautres, qui visent avant tout à souligner l’intérêt que peut avoir l’ouvrage pour le traducteur juridique. Celui-ci étant par ailleurs régulièrement confronté à la plupart des mots courants cités, il va sans dire que la lecture du Traducteur encore plus averti ne pourra lui être que profitable.

Aucun ouvrage n’étant par définition parfait, on pourra adresser à celui-ci quelques reproches. Il aurait par exemple peut-être été utile de mieux distinguer, dans la table des matières comme dans le corps de l’ouvrage, les entrées terminologiques et les entrées thématiques d’une part, et les entrées françaises et les entrées anglaises d’autre part. Department, « dislocation du nom », « double détermination », « encadrer », engage... Le mélange des différents types d’entrées donne une impression de fouillis qui pourra parfois désorienter le lecteur.

La traduction n’étant pas une science exacte, on pourra également pinailler sur certaines suggestions. Ainsi, n’aurait-on pas pu rendre « I am excited about taking on new challenges » (traduit par « L’idée de relever de nouveaux défis me rend fébrile », p. 103) par « Je suis impatient de relever de nouveaux défis » ou « Je me réjouis à l’idée de relever de nouveaux défis » ? De même, « la gamme de primes offertes est éblouissante » (pour « an exciting range of rewards », p. 104) constitue sans doute une traduction perfectible. Dans cette phrase, à l’entrée concern,  on pourrait sans doute supprimer « de votre dossier/cas » à la fin sans rien changer au sens : « Nous savons que ce n'est pas la réponse que vous souhaitiez, et nous vous informons que vous avez six mois à compter de la date de la présente pour saisir l’Ombudsman de votre dossier/cas. »

Ces reproches, qui n’en sont pas vraiment, sont bien peu de chose au regard de la qualité globale de l’ouvrage, qui bénéficie par ailleurs d’une superbe préface de Jean Delisle. Il faut dire que ce dernier, auteur du désormais classique La traduction raisonnée (3e édition, 2013), sait de quoi il parle. Delisle a parfaitement compris qu’au-delà du simple guide de traduction, Le Traducteur encore plus averti constitue un formidable outil de promotion de la langue française. Grâce à cet ouvrage, on ne voit en effet plus « la langue française soumise à la traduction comme une réalité figée, asservie à une autre langue et difficilement malléable. On découvre au contraire à quel point cette langue recèle des trésors d’expression, joyaux qui échapperont toujours à une machine à traduire » (extrait de la préface). Aider le traducteur à prendre conscience du trésor que constitue sa langue, à mettre en valeur les mille joyaux qui l’habillent, pour l’aider à devenir orfèvre des mots. Peut-on imaginer plus noble entreprise ?

Selon Delisle, « Le traducteur encore plus averti et son frère aîné Le traducteur averti » s’incrivent dans la lignée des travaux de Claude Bédard, de Léon Gérin, de Robert Dubuc et de Vinay et Darbelnet, entre autres. Bien qu’il cite son propre ouvrage, Delisle est trop modeste pour s’inclure dans cette liste, mais que l’on ne s’y trompe pas : Le traducteur encore plus averti doit beaucoup à La traduction raisonnée. Ces deux ouvrages nous sont d’autant plus indispensables qu’à la maternité des traductions de qualité, les accouchements sans douleur sont rares. Comme le dit joliment Delisle : « La tâche du traducteur est d’élucider le mystère de la langue qui cherche à donner corps à des concepts abstraits. S’il est facile de traduire, bien traduire l’est moins. Cette compétence, rarement innée, a son prix. On devient traducteur et, généralement, cela ne se fait pas sans effort. Ni sans aide. »

vendredi 1 décembre 2017

Terminologie du droit anglais ancien 

Connaissez-vous le droit anglais ancien ? Pour vous tester, je vous propose un petit exercice, qui consiste à relier les définitions, dans la colonne de gauche, aux termes correspondants, à droite. Les termes et leurs définitions sont extraits de la deuxième édition du Jowitt’s Dictionary of English Law (1977).

1) An inferior court of record, possessing a very ancient jurisdiction over causes of action arising within the borough of Liverpool.

2) This is commonly said to be the Court of Dusty Feet, but an alternative derivation makes it to be the Court of the Pedlars. It was a court which decided summarily and on the spot disputes which arose in fairs and markets.

3) An ecclesiastical court, so called because it was originally held in the church of St. Mary-Le-Bow, so named from the steeple, which is raised upon pillars, built archwise.

4) A cauldron into which boiling water was poured, in which a criminal plunged his arm up to the elbow and there held it for some time, as an ordeal.

5) A writ whereby all persons were originally summoned to answer in personal actions in the King’s Bench; so called because it was supposed by the writ that the defendant lurked and lay hid, and could not be found (…).

6) Extraordinary commission issued, either in time of open war or in time of peace, after all attemps to procure legal redress had failed, by the Lords of the Admiralty (…), to the commanders of merchant ships, authorising reprisals for reparation of the damages sustained by them through enemies at sea.

7) A public solemnity or overt ceremony which was formerly necessary to convey an immediate estate of freehold in lands or tenements.
  
8) An instrument formerly used in Scotland for beheading criminals.

9) The judgment for high treason (…) was that the head of the person after death by hanging should be severed from his body, and that the body, divided into four quarters, should be disposed of as the sovereign should think fit.

10) Trespass, with violence, on the forest. It was one of the crimes of which only the king had cognisance.

1) Alfet




2) Letters of marque







3) Livery of seisin





4) Court of Arches





5) Maiden






6) Court of pie poudre (or of pie-powders)







7) Rape of the forest




  
8) Latitat


9) Court of Passage





  

10) Quartering traitors


Réponses : 1-9, 2-6, 3-4, 4-1, 5-8, 6-2, 7-3, 8-5, 9-10, 10-7.

vendredi 10 novembre 2017

Treaty Times Thirty

La nouvelle est passée complètement inaperçue sous nos latitudes mais un événement majeur a marqué le monde de la traduction en Nouvelle-Zélande en février dernier.

À l’occasion de son trentième anniversaire, la New Zealand Society of Translators and Interpreters (NZSTI) a en effet présenté officiellement le Treaty Times Thirty book, fruit d’un projet de traduction qui fera date dans l’histoire du pays. Cette publication, disponible gratuitement sur Internet (https://treatytimes30.org/), contient la traduction en 30 langues des deux versions – anglaise et maorie – du Traité de Waitangi, généralement considéré comme l’acte fondateur de la Nouvelle-Zélande.

Ce traité, très court puisqu’il ne comporte que trois articles, a été signé en 1840 dans un double objectif : officialiser la souveraineté britannique sur le territoire et garantir un certain nombre de droits aux tribus indigènes.

Le non-respect d’une partie du Traité par les Britanniques et les problèmes d’interprétation découlant des divergences entre les deux versions ont conduit à l’instauration, en 1975, d’un tribunal spécial, le Waitangi Tribunal (www.waitangitribunal.govt.nz). Celui-ci a été amené à plusieurs reprises à préciser le sens du texte et la rubrique de son site Internet intitulée Meaning of the Treaty résume utilement les principales divergences entre les deux versions du Traité. On notera par exemple cette explication, à propos de l’article 1er : « In the Māori text of article 1, Māori gave the British ‘kawanatanga’, the right of governance, whereas in the English text, Māori ceded 'sovereignty'. One of the problems that faced the original drafters of the te reo Māori text of the Treaty was that 'sovereignty' had no direct equivalent in the context of Māori society. Rangatira (chiefs) exercised full authority (‘mana’) over land and resources on behalf of the wider community ». On comprend mieux, à la lecture de cette explication, la raison de certaines divergences entre les deux versions.

Selon le site du projet, ces divergences seraient dues au délai extrêmement court dans lequel, à la veille de la signature du Traité, la traduction du texte d’anglais en maori a dû être effectuée : « In 1840, William Hobson [Lieutenant Gouverneur, représentant de la Couronne britannique] asked Henry Williams, a native English speaker, to translate the draft version of the Treaty of Waitangi into Māori in haste – the signing was meant to take place the following day! Williams produced the translation overnight and, unsurprisingly, it was not reviewed. The unfortunate translation choices he made led to key differences in meaning between the English and Māori versions of the Treaty, most notably in regards to the concepts of governorship and sovereignty ». L’objectif de la NZSTI ici n’est pas de blâmer le pauvre Henry Williams, qui n’est plus là pour se défendre, mais de mettre en valeur le rôle des traducteurs professionnels. La NZSTI a d’ailleurs manifestement tout mis en œuvre pour assurer le bon déroulement du projet et produire des traductions de qualité : « Each translation of the Treaty and Te Tiriti was drafted by a minimum of three translators. These translators first worked individually, and then together, to create the translations of the Treaty and Te Tiriti. These translations were then reviewed by independent reviewers to ensure the highest possible quality. » (https://treatytimes30.org/about-us-2/)

Les traducteurs capables de traduire du maori vers une langue autre que l’anglais étant rares, il a été décidé d’utiliser, pour la traduction de la version maorie, la traduction anglaise de référence de Sir Hugh Kawharu (1989). Le travail a donc constitué, pour la plupart des traducteurs, à traduire le traité dans leur langue à partir de deux versions anglaises différentes.

Au total, quelque 116 traducteurs ont participé au projet, tous bénévolement. La traduction française des deux versions a été réalisée par une équipe de sept traducteurs d'horizons divers, réduite en cours de projet à trois personnes. La traduction finale a été révisée par une avocate française installée en Nouvelle-Zélande. Ce processus collaboratif a permis de produire une traduction d'excellente qualité, respectueuse de la terminologie juridique et d'une grande lisibilité. Les quelques archaïsmes syntaxiques présents dans la version originale ont été judicieusement supprimés dans la traduction, comme c'est le cas de said dans ce passage de l'article 1er :

« The Chiefs of the Confederation of the United tribes of New Zealand (...) cede to Her Majesty the Queen of England (…) all the rights and powers of Sovereignty which the said Confederation or Individual Chiefs respectively exercise or possess »

« que la Confédération ou que les chefs indépendants exercent ou possèdent respectivement... » (traduction de la version anglaise originale ; nous soulignons)

Comme il est toujours possible de trouver des défauts à une traduction, même de qualité, on pourra toutefois hasarder quelques suggestions d’amélioration. Prenons par exemple ce passage (article 2) :

« the full exclusive and undisturbed possession of their Lands and Estates Forests Fisheries and other properties which they may collectively or individually possess (…) »

« la pleine possession exclusive et paisible de leurs terres et des domaines (...) »

Il aurait peut-être été plus judicieux ici, pour la fluidité du texte, de dire « la possession pleine, exclusive et paisible (...) », l'antéposition de « pleine » dans cette cooccurrence étant a priori incompatible avec la postposition d'autres adjectifs.

La traduction de cet autre passage, dans le préambule, aurait sans doute pu être plus concise :

« the recognition of Her Majesty’s Sovereign authority over the whole or any part of those islands »

« la reconnaissance de l’autorité souveraine de Sa Majesté sur toute l'étendue ou toute partie de ces îles »

Suggestion : « la reconnaissance de la souveraineté de Sa Majesté sur tout ou partie de ces îles. »

Ces quelques remarques n’enlèvent bien entendu rien à la qualité globale de la traduction, dont on peut espérer qu’elle contribuera, avec celles réalisées dans les 29 autres langues, à une meilleure connaissance d’un texte qui reste aujourd’hui l’objet de vive controverses.

La mauvaise qualité de la version du traité en maori, comme on l’a vu, est parfois attribuée à un problème de délai. Le révérend Henry Williams, ayant dû travailler dans l’urgence, n’a pas été mis dans les meilleures conditions pour produire une traduction de qualité et sa mésaventure semblera d’ailleurs très actuelle aux traducteurs du 21ème siècle, qui se consoleront peut-être en se disant que le problème des délais n'est pas nouveau. Cela étant, on peut aussi se demander si la terminologie utilisée dans la version anglaise – à commencer par le terme sovereignty, concept inconnu des Maoris – et les divergences introduites dans la version maorie ne l'ont pas été à dessein, par une puissance coloniale soucieuse avant tout d’imposer sa volonté à un peuple colonisé. Le doute est d'autant plus permis que le concept de « souveraineté » n'est pas le seul à poser problème. En effet, comme le remarque René Lemieux, « (c)hacun des articles contient un concept qui n’existe pas dans la culture maorie : la souveraineté sur un territoire, la propriété de la terre et la notion de « sujet » d'un souverain. » (Le traité de Waitangi : quand une « mauvaise » traduction devient un objet de revendication politique, Circuit, publication de l'OTTIAQ, n°131, 2016).

Indépendamment de savoir si le révérend Williams a agi sur instructions du gouvernement britannique ou de se son propre chef, et quelles qu’aient été les intentions réelles de ce dernier, il est aujourd’hui incontesté que le Traité de Waitangi, de par les divergences – volontaires ou non – entre ses deux versions, a eu, pendant des décennies, des conséquences désastreuses pour la population maorie : « Henry Williams reshaped the text and changed one part of the world forever. The political impact this translation had at the time and still has today is so enormous that it has become the basis for the continued existence of two peoples within one nation. » (The Translation of the Treaty of Waitangi: A Case of Disempowerment, Sabine Fenton & Paul Moon, in Translation and Power, University of Massachusetts Press, 2002).