"A generous and elevated mind is distinguished by nothing more certainly than an eminent degree of curiosity, nor is that curiosity ever more agreeably or usefully employed, than in examining the laws and customs of foreign nations." (Samuel Johnson)

mercredi 24 avril 2019

Colloque Langues et langages juridiques, Bordeaux

Je viens de prendre connaissance avec grand intérêt du programme du colloque Langues et langages juridiques - Traduction et traductologie, Didactique et pédagogie, qui doit se tenir en juin prochain à la Faculté de droit de Bordeaux (www.univ-droit.fr/actualites-de-la-recherche/manifestations/31130-langues-et-langages-juridiques?thanks=actu_recherche). Je me réjouis d’ores et déjà d’y revoir Jean-Claude Gémar, un an après le colloque Transius de Genève, et d’y entendre, outre ce dernier, d’autres sommités comme Olivier Moréteau, spécialiste du droit de la Louisiane, dont Gémar justement m’a souvent parlé.


Le premier nom illustre que l'on associe à Bordeaux est bien sûr celui de Montesquieu, dont le parcours personnel est étroitement lié à la ville. Celui que son père destinait à la magistrature employa, dès sa plus tendre jeunesse, « l'activité de son esprit à étudier l'immense recueil des différents codes, à saisir les motifs et à démêler les rapports compliqués de tant de lois obscures ou contradictoires. » (Œuvres complètes de Montesquieu avec les notes de tous les commentateurs, 1839).

Bien qu'ayant hérité, en 1716, d'une charge de président à mortier au Parlement de Bordeaux (sous l'Ancien Régime, les « présidents à mortier » étaient les principaux magistrats des « parlements », alors les plus hautes juridictions d'appel), Montesquieu ne fera pas la carrière de magistrat que souhaitait son père, vendant sa charge en 1726, deux ans avant sa réception à l'Académie française. De l'esprit des lois (1748), son magnum opus, lui vaudra autant de critiques (auxquelles il répondra dans Défense de l'esprit des lois (1750)), que d'éloges, à l'image de celui, resté célèbre, de D'Alembert, qui salua un « ouvrage immortel » qui « est pour les nations éclairées un motif de jalousie contre la France. » (1772).

Aujourd'hui, Montesquieu coule une retraite paisible Place des Quinconces, en compagnie d'un autre Bordelais célèbre, Montaigne, dont il était un grand admirateur. Figés pour l'éternité, ces philosophes de pierre n'en ont pas moins laissé une œuvre encore très vivante qui n'en finit pas d'inspirer débats et rencontres (cf. Montesquieu hors d'Europe. Traductions et usages de L'Esprit des lois, colloque prévu au printemps 2020).


Dans l'ombre de ces grands noms, d'autres Bordelais moins célèbres ont eux aussi contribué à façonner l'évolution du droit et méritent à ce titre de sortir de l'anonymat. Parmi eux figure Etienne Cleirac (1583-1657), jurisconsulte né et mort à Bordeaux qui a laissé derrière lui plusieurs ouvrages et traités, mais qui est surtout connu aujourd’hui pour Us et coutumes de la mer, recueil réunissant les lois et usages maritimes de son époque. 

Considéré aujourd’hui comme l’ouvrage fondateur du droit maritime français, ce recueil, publié pour la première fois en 1647, comporte trois parties – De la navigation, Du commerce naval & contracts maritimes, et De la juridiction de la Marine – et est complété par un lexique des termes de marine « employez dans les Edicts, Ordonnances & Reglemens de l’Admirauté ».

Ce lexique contient de nombreux archaïsmes (« bargagne/bargagner » (marchander, qui a donné bargain), « bomerie »), mais aussi des termes encore en usage aujourd’hui. Citons ces trois exemples : 

« Avarie, est toute sorte de dépence, dommage, tare ou empirance ordinaire ou extraordinaire (…). »

« Charte partie, c’est la lettre de la facture, ou le contract de cargaison fait par écriture de main publique. »

« Police d'assurance, (…) est un contract grandement nécessaire & salutaire à la Navigation PERICULI PRÆTIUM par le moyen duquel (…) les assureurs prennent sur eux, & répondent des risques & mauvais événements de la navigation entreprise desquels ils doivent indemniser les Marchands chargeurs en cas de perte ou d'empirance. »

Aussi utilisé en numismatie, le terme « empirance », qui apparaît dans deux de ces définitions, se disait « en termes de Marine, (…) du déchet, de la corruption ou diminution de valeur des marchandises, causée par leur jet durant la tempeste, si aprés elles sont sauvées, ou par quelques autres accidents. » (Furetière, Dictionnaire universel, 1690).

L’ouvrage de Cleirac, véritable code maritime avant l’heure (en attendant l’Ordonnance de la marine de 1681, dite « Ordonnance Colbert »), connut un tel succès qu’il fut traduit en plusieurs langues. La traduction anglaise qui en été publiée en 1686 a assurément contribué à son rayonnement à l’étranger, mais il est regrettable que Guy Miège, son auteur (par ailleurs connu pour ses dictionnaires anglais-français publiés dans les années 1670 et 1680), ait oublié de mentionner le nom de Cleirac, intitulant simplement sa traduction The Ancient Sea-Laws of Oleron, Wisby and the Hanse-Towns, Still in Force, Taken out of a French Book, intitled, Les Us & Coutumes de la Mer.

Il est difficile, pour finir, de ne pas évoquer, à propos de Bordeaux, le magnifique texte que François Mauriac a consacré à sa ville natale. Les premières lignes de Bordeaux ou l’adolescence (1924) sont parmi les plus belles mais aussi les plus universelles (Bordeaux symbolise ici toutes les villes natales et chacun, à travers elle, retrouvera la sienne) que Mauriac nous ait laissées : 

« Cette ville où nous naquîmes, où nous fûmes un enfant, un adolescent, c’est la seule qu’il faudrait nous défendre de juger. Elle se confond avec nous, elle est nous-même ; nous la portons en nous. L’histoire de Bordeaux est l’histoire de mon corps et de mon âme. »

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