"A generous and elevated mind is distinguished by nothing more certainly than an eminent degree of curiosity, nor is that curiosity ever more agreeably or usefully employed, than in examining the laws and customs of foreign nations." (Samuel Johnson)

jeudi 20 juillet 2017

De Gémar à Sparer

Dans mon billet du 19 juin sur le Code de déontologie de J.C. Gémar, j’écrivais ceci : « Le traducteur […] ne relève pas toujours  et donc ne signale pas à son client, comme il le devrait les incohérences éventuellement présentes dans le texte original […]. Or, le signalement de ces incohérences et autres lacunes du texte source participe de la valeur ajoutée que peut apporter le traducteur ».

Dans son article Pour une dimension culturelle de la traduction juridique (Meta, vol. 24, n°1, 1979), Michel Sparer ne dit pas autre chose : « Si vous ne faites pas remarquer l’ambiguïté ou l’incohérence dont on s’apercevra tôt ou tard, la personne qui vous commandite ce travail peut en déduire que vous ne l’avez pas vous-même remarquée et que, par conséquent, votre acuité de perception des phénomènes linguistiques est faible. Il est désagréable parfois de se faire montrer qu’on a commis une incohérence, mais j’imagine qu’il est encore plus désagréable pour un traducteur de se faire dire qu’il a laissé passer une incongruité alors qu’il l’avait, en fait, repérée, sans oser la faire remarquer. »

Dans la première partie de l’article, Michel Sparer, en juriste s’adressant à des non-juristes, donne quelques clés pour comprendre les spécificités des textes juridiques, selon la tradition dont ils sont issus (common law ou droit civiliste). Après un rappel utile de la hiérarchie des sources du droit – différente dans les deux traditions –, il évoque les principales caractéristiques des deux systèmes pour mieux expliquer les conséquences qui en découlent pour la formulation des textes. Il va sans dire que sa démonstration, assortie de nombreux exemples, sera fort utile aux traducteurs juridiques qui n’ont pas étudié le droit, c’est-à-dire la plupart.

Tout en proposant un cadre de réflexion général, Sparer aborde un certain nombre de problématiques spécifiques comme celle de la définition dans la loi. Il évoque également la question, rarement traitée dans le contexte juridique, de la négation. « J’ai toujours été surpris de la propension de la langue juridique à la ‘tournure négative’ et à la double négation », écrit-il, avant de remarquer un peu plus loin : « La fréquence [des] tournures négatives ne peut manquer […] de donner aux textes un arrière-goût de répression ».

En conclusion de son article, Michel Sparer invite les traducteurs juridiques à sortir du complexe d’infériorité qu’ils nourrissent trop souvent envers les juristes. Indépendamment du niveau d’expérience de chacun, nous gagnerions tous à suivre ses précieux conseils, qui sont aussi un encouragement à nous remettre en question, dans notre intérêt personnel mais aussi pour le bien de la profession dans son ensemble :

« Selon une idée reçue que j’ai également constatée dans le milieu de la traduction, il existerait une infériorité fondamentale du traducteur par rapport au juriste. Elle résiderait, paraît-il, dans le fait que le traducteur ne connaît pas le droit, alors que le juriste connaît sa langue. Il s’agit d’une conception regrettable qui résulte d’une analyse pour le moins sommaire. En effet, si le juriste connaît sa langue, il n’a pas suivi la plupart du temps les trois ans de cours universitaire pendant lesquels le traducteur a acquis plus qu’une connaissance de sa langue : une connaissance des techniques les plus affinées en matière de traduction. La connaissance que le juriste a de la traduction est une connaissance en grande partie infuse. Cette connaissance infuse de la traduction peut sans doute être comparée à votre connaissance infuse du droit […]. J’estime, par conséquent, que vous êtes sur le même plan. Le juriste n’acceptera sans doute pas que vous contestiez le fondement juridique de son argumentation. De la même manière, est-il adroit de laisser celui qui commandite votre traduction vous imposer ses conceptions, le plus souvent très incomplètes, de la traduction ? Sans aller jusqu’au malentendu ni jusqu’à la rupture des relations professionnelles, il vous est toujours possible de faire valoir vos arguments. »

Force est de reconnaître que dans la pratique, il est parfois difficile de suivre ces conseils – comment faire valoir ses arguments quand un intermédiaire (agence ou autre) se dresse entre le traducteur et l’auteur du texte ? –, mais il n’est pas interdit de s’en inspirer.

Il est à noter que Michel Sparer est aussi le coauteur, avec Wallace Schwab, d’un ouvrage de référence sur la rédaction des lois, disponible gratuitement sur le site du Conseil supérieur de la langue française du Québec : Rédaction des lois : rendez-vous du droit et de la culture (1980, http://www.cslf.gouv.qc.ca/publications/pubb101/b101ch1.html).

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