Dans mon billet du 19 juin sur le Code de déontologie de
J.C. Gémar, j’écrivais ceci : « Le traducteur […] ne relève pas
toujours – et donc
ne signale pas à son client, comme il le devrait –
les incohérences éventuellement présentes dans le texte original […]. Or,
le signalement de ces incohérences et autres lacunes du texte source participe
de la valeur ajoutée que peut apporter le traducteur ».
Dans son article Pour
une dimension culturelle de la traduction juridique (Meta, vol. 24, n°1, 1979), Michel Sparer ne dit pas autre
chose : « Si vous ne faites pas remarquer l’ambiguïté ou
l’incohérence dont on s’apercevra tôt ou tard, la personne qui vous commandite
ce travail peut en déduire que vous ne l’avez pas vous-même remarquée et que,
par conséquent, votre acuité de perception des phénomènes linguistiques est
faible. Il est désagréable parfois de se faire montrer qu’on a commis une incohérence,
mais j’imagine qu’il est encore plus désagréable pour un traducteur de se faire
dire qu’il a laissé passer une incongruité alors qu’il l’avait, en fait,
repérée, sans oser la faire remarquer. »
Dans la première partie de l’article, Michel Sparer, en
juriste s’adressant à des non-juristes, donne quelques clés pour comprendre les
spécificités des textes juridiques, selon la tradition dont ils sont issus (common law ou droit civiliste). Après un
rappel utile de la hiérarchie des sources du droit – différente dans les deux
traditions –, il évoque les principales caractéristiques des deux systèmes pour
mieux expliquer les conséquences qui en découlent pour la formulation des
textes. Il va sans dire que sa démonstration, assortie de nombreux exemples,
sera fort utile aux traducteurs juridiques qui n’ont pas étudié le droit,
c’est-à-dire la plupart.
Tout en proposant un cadre de réflexion général, Sparer aborde
un certain nombre de problématiques spécifiques comme celle de la définition
dans la loi. Il évoque également la question, rarement traitée dans le contexte
juridique, de la négation. « J’ai toujours été surpris de la propension de
la langue juridique à la ‘tournure négative’ et à la double négation »,
écrit-il, avant de remarquer un peu plus loin : « La fréquence [des]
tournures négatives ne peut manquer […] de donner aux textes un arrière-goût de
répression ».
En conclusion de son article, Michel Sparer invite les
traducteurs juridiques à sortir du complexe d’infériorité qu’ils nourrissent
trop souvent envers les juristes. Indépendamment du niveau d’expérience de
chacun, nous gagnerions tous à suivre ses précieux conseils, qui sont aussi un
encouragement à nous remettre en question, dans notre intérêt personnel
mais aussi pour le bien de la profession dans son ensemble :
« Selon une idée reçue que j’ai également constatée
dans le milieu de la traduction, il existerait une infériorité fondamentale du
traducteur par rapport au juriste. Elle résiderait, paraît-il, dans le fait que
le traducteur ne connaît pas le droit, alors que le juriste connaît sa langue.
Il s’agit d’une conception regrettable qui résulte d’une analyse pour le moins
sommaire. En effet, si le juriste connaît sa langue, il n’a pas suivi la
plupart du temps les trois ans de cours universitaire pendant lesquels le
traducteur a acquis plus qu’une connaissance de sa langue : une
connaissance des techniques les plus affinées en matière de traduction. La
connaissance que le juriste a de la traduction est une connaissance en grande
partie infuse. Cette connaissance infuse de la traduction peut sans doute être
comparée à votre connaissance infuse du droit […]. J’estime, par conséquent,
que vous êtes sur le même plan. Le juriste n’acceptera sans doute pas que vous
contestiez le fondement juridique de son argumentation. De la même manière,
est-il adroit de laisser celui qui commandite votre traduction vous imposer ses
conceptions, le plus souvent très incomplètes, de la traduction ? Sans
aller jusqu’au malentendu ni jusqu’à la rupture des relations professionnelles,
il vous est toujours possible de faire valoir vos arguments. »
Force est de reconnaître que dans la pratique, il est parfois
difficile de suivre ces conseils – comment faire valoir ses arguments quand un
intermédiaire (agence ou autre) se dresse entre le traducteur et l’auteur du
texte ? –, mais il n’est pas interdit de s’en inspirer.
Il est à noter que Michel Sparer est aussi le coauteur, avec
Wallace Schwab, d’un ouvrage de référence sur la rédaction des lois, disponible
gratuitement sur le site du Conseil supérieur de la langue française du Québec :
Rédaction des lois : rendez-vous du
droit et de la culture (1980, http://www.cslf.gouv.qc.ca/publications/pubb101/b101ch1.html).
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